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le Blog d'Antoine Salvi
27 février 2015

Sur le toit de l'Europe

Trois mutualistes grenoblois sur le toit de l’Europe

             Quel montagnard entraîné et expérimenté ne rêve t-il pas de mettre un jour les pieds sur cette cime fascinante  qu’est le Mont Blanc ? J’avais quatorze ans  lorsqu’un guide ami faillit m’emmener. Mais devant limiter sa cordée je fus éliminé parce que le plus jeune, et je restais, dépité, sur « le plancher des vaches ».

            Depuis, sans guide et avec d’autres travailleurs amoureux d’altitude, à sept reprises et par différentes faces, j’ai largement effacé cette dure déception d’adolescent.

            La première ascension avec Michèle et Eliane, deux compagnes de cordée endurcies et disciplinées, demeure le plus vivace de ces souvenirs.

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Quel montagnard ne rêve t-il pas à cette cime fascinante ?

 

    Dans la montée meurtrière du Goûter

  Un samedi matin de juillet, tous trois vibrants de joie et d’inquiétude,  résolus mais non sans quelque appréhension, nous nous retrouvons dans le train à crémaillère qui nous hisse au cœur du massif, au lieu dit « le Nid d’Aigle »(2370 m)

   Premier souci : ne pas perdre de temps, non seulement pour fuir la foule des touristes que déverse le train, mais parce qu’il nous faut aborder le rocher avant que l’action du soleil ne déclenche trop de chutes de pierres.

   Les deux premières heures sont aisées. Le large sentier permet à l’esprit de ruminer une foule d’interrogations… Serons-nous à la hauteur ? Attention aux risques, bien les prévoir ! Assurer au maximum ! Ce travail des méninges est d’autant plus intense que cette montée, toute nouvelle pour nous, a déjà fait sept morts les deux mois précédents

   A l’attaque de la paroi qui se dresse 600 mètres au-dessus de nous, se présente le passage réputé le plus dangereux. Nous l’examinons. C’est un couloir large d’une trentaine de mètres. Il faut traverser sa pente raide de neige dure et même en glace par endroits. Un prêtre s’est tué là la semaine précédente. D’en haut, dévalent presque continuellement des roches de tous calibres. Le bas s’achève en entonnoir surplombant le profond glacier de la Bionnassay. Le balancement d’un câble à plus d’un mètre cinquante au-dessus de nos têtes nous inspire plus de risques de déséquilibre que d’aide sécurisante. D’autres années, par contre, nous le trouverons enfoui sous la neige. Nous décidons de pratiquer la tactique de la marmotte : passer un par un, les deux autres postés en sentinelle, les yeux braqués sur le sommet du couloir, prêts à l’alerte.

Michèle puis Eliane passent dans le calme. Ne croyant plus au danger, je m’engage tranquillement à mon tour. Après quatre ou cinq mètres franchis, cris des filles ! Demi-tour rapide ! De chaque côté de la goulotte nous nous plaquons derrière de gros blocs, crispés, dans l’écoute d’un véritable bombardement de pierres éclatant sur d’autres roches et passant en ronflant ou sifflant à quelques mètres de nos abris en direction du gouffre. Le silence revenu, le cœur battant la chamade, nous sortons timidement de nos planques scrutant avec souci l’horizon de cette pente meurtrière. Quel répit va-t-elle nous laisser ? Il faut cependant se décider et faire vite. Pour éviter toute manœuvre fatale, l’attention doit rester fixée sur ses pieds, les poser prudemment au bon endroit sur ces fausses marches glissantes et retenir la folle envie d’un regard vers le haut pour savoir ce qui s’y passe ! Après ces émotions, l’interminable varappe finale dans la paroi nous paraîtra détendue et presque amusante !

El_Mic

Michèle et Eliane, deux solides compagnes de cordée.

    Le cauchemar d’un refuge.

  Le refuge de l’Aiguille du Goûter (3800 m) domine la paroi. L’intérieur vite archi-bondé devient bientôt invivable. Il faut se faire un passage, se relayer aux tables pour manger dans un coin serré. Aussi, emmitouflés dans nos duvets, nous préférons rester dans la froidure vespérale extérieure. Nous nous rassasions du spectacle hallucinant d’une immense mer de nuages cotonneux couvrant tout ce qui est au-dessous de trois mille mètres. Elégante et pure la face Nord de la Bionnassay en jaillit toute rougissante au soleil couchant.

   Les heures de nuit seront les plus désagréables. Trente centimètres de matelas par personne, et les derniers arrivés devront s’installer sur le plancher et les tables du réfectoire. Peu à peu le bonheur de ceux qui ronflent fait le malheur de ceux qui ne peuvent fermer l’œil. Plus d’une fois, la vaillante Michèle devra défendre la part de place de ses 38 kilos à un voisin gros gaillard envahissant, et ce, en lui plantant sèchement ses coudes pointues dans les côtes. Voilà pourquoi, aujourd’hui, nous préférons monter nos tentes sur la  neige.

   2 h 30 : l’heure de la délivrance sonne. Branlebas général dans lequel il faut avoir eu soin de bien tout prévoir et ranger la veille. Bien organisés, nous pouvons vingt minutes après quitter les premiers l’imbrogliamini de cordes, sacs, matériel et le va-et-vient incessant de toutes ces ombres sur l’étroit balcon.

      Marche tactique vers le sommet.

   Sur la tranquille arête du Goûter, on respire enfin. Nos lampes frontales balaient la large trace. Les étoiles étincellent au-dessus de nous, alors que 2800 m plus bas un paquet de lucioles nous désignent la cité de Chamonix.

   Encordés, crampons aux pieds, nous avançons très lentement, régulièrement. Ne pas souffler, ne pas désoxygéner le sang par des efforts brutaux. Gare au départ trop rapide, à la grimpée coup par coup, à l’asphyxie…Bref, aux « jambes coupées ». Aucune difficulté technique à affronter, mais toute une tactique de résistance à entretenir.

   Aux environs du Dôme du Goûter (4300 m) plusieurs cordées nous dépassent. Nous maintenons notre rythme. Le refuge du Vallot (4362 m) passé, le soleil éclate sur la cime blanche, envahit peu à peu la face nord, vient piqueter les plus hauts sommets d’alentour, alors que le fond des vallées baigne encore dans les restes violacés d’une nuit finissante.

   Sans nous arrêter, nous attaquons l’arête des trois bosses. Nous rattrapons là, sans le vouloir, ceux qui nous ont doublés une heure avant. Un isolé nous regarde ébahi, cherchant à comprendre. Il nous demande s’il peut se mettre dans nos pas. Malheureusement pour lui, le mal est fait, ses jambes ne répondent plus.

   Sur la plat de la dernière bosse, un bruit mat  derrière. Eliane vient de s’écrouler de tout son long, visage sur la neige…Deux ou trois secondes…elle se relève : « ça va, dit-elle, repartons » Elle ne sait elle-même ce qui s’est passé. Comme un éblouissement sans qu’aucun malaise ni fatigue ne l’ait prévenue. Mal étrange et subit de l’altitude qui nous laisse pantois et inquiets surtout en abordant l’arête finale effilée.

   A droite, le versant italien nous rappelle non sans quelque frisson, cette cordée anglaise engloutie dans ses flancs vertigineux. Heureusement les pieds y trouvent bonne place aujourd’hui, ce qui ne sera pas le cas quelques années plus tard, lorsque nous dûmes en franchir une partie à califourchon.

   6 heures : nous sommes sur le large dôme sommital. L’altimètre marque 4810 mètres. Point culminant confirmé par les pelures d’orange, les peaux de banane et autres détritus. Hideux signes humains quotidiennement renouvelés qui nous permettront lors d’une autre ascension dans un épais brouillard de nous assurer du but réellement atteint. Embrassades joyeuses ! Plénitude intérieure d’un rêve satisfait plus que ravissement des yeux ! En effet le site paraît très ordinaire et n’a rien du spectacle de certains belvédères. Notre trop haute domination offre sur les alentours une perspective plutôt écrasée et sans relief. Seules, les silhouettes du Mont Maudit et autres Aiguilles au nord conservent encore quelque allure.

sommett

 

   Rencontres pittoresques d’un retour.

  La descente dans une neige encore solide et agréable nous permet d’observer à loisir la longue procession de montagnards réalisant comme nous leur rêve ! Ils seront plus de trois cents ce jour là ! Si beaucoup progressent normalement, nombreux sont ceux qui présentent un spectacle de souffrance.

   Une cordée japonaise se hisse péniblement, stoppant tous les vingt mètres. Un groupe assis et anxieux nous interroge sur le temps qui leur reste avant la cime. Une jeune fille courbée en deux essaie de retrouver son souffle sous l’œil patient de ses deux équipiers. Un slave est carrément affalé à terre sur les genoux. Ses bras s’agitent signifiant au guide qu’il ne veut plus continuer. De passage à Chamonix, il avait voulu s’offrir cette pièce de musée que lui semblait le Mont Blanc. Son guide, homme de devoir, tire sur la corde et crie d’un ton à la fois responsable et humoristique : « T’as payé, tu monteras ».

   Plusieurs cordées handicapées stagnent et se restaurent aux environs du refuge Vallot. Plus bas, un hélicoptère rouge sang vient chercher un malade étendu sur la neige, entouré de ses compagnons consternés. L’année suivante, avec d’autres camarades, un groupe en difficulté au sommet nous pria de prendre en charge  un de leurs collègues complètement épuisé. Pour cause, c’était la première expérience montagnarde de sa vie et je ne doute guère qu’elle fut la dernière tant elle lui fut douloureuse. Encordé au milieu de nous, titubant, s’écroulant dans la neige, il dut subir jusqu’aux Grands Mulets la torture salvatrice de notre corde impitoyable. Ne pouvant franchir avec lui  les crevasses géantes de la Jonction, nous le confions au gardien du refuge afin qu’un repos de vingt-quatre heures le requinque suffisamment et lui permette de se joindre à une autre cordée bénévole pour cette périlleuse gymnastique.

   Au refuge, nous retrouvons ceux dont le départ a été empêché par la fatigue ou le mal des hauteurs, l’un d’eux ayant même copieusement inondé l’escalier  du dortoir de tout son repas de la veille.

   A midi, nous retrouvons le petit train, la vallée et rentrons sur Grenoble. Le lendemain, nous irons planter notre tente dans la verdure sommitale du Grand Som en Chartreuse. Dans le soir couchant, contemplant la calotte rose lointaine, nous revivons ensemble, sans regret mais sans envie, les joies et désillusions  que cette marche sur le toit de l’Europe nous a apportées.

             (Vie mutualiste – juin 1979) 

antoine

 

 

Antoine Salvi

31, rue des Eaux-Claires

38100  GRENOBLE

0476965443

0641769454

salvi.antoine@neuf.fr 

http://antoine.salvi.free.fr/ 

http://salvideo.canalblog.com/ 

 

                                                                

 

 

 

          

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
G
Cher ami,<br /> Quelle bonne idée de publier ces récits de tes aventures montagnardes.<br /> Merci de nous faire rêver. Au plaisir d'une prochaine escapade ici ou là.<br /> ––<br /> Amitié,<br /> Gérard
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